La scientifisation de la fiscalité, c’est-à-dire l’utilisation de méthodes scientifiques, de modélisation économique sophistiquée et de technologies avancées pour optimiser le système fiscal, peut avoir des avantages et des inconvénients par rapport à l’objectif principal de l’impôt.
L’impôt, comme nous le savons tous, est une contribution de chaque citoyen et de chaque entreprise à la création et au maintien d’un cadre de vie répondant à nos aspirations. Son objectif est de financer les dépenses publiques, telles que les infrastructures, l’éducation, la santé, et de redistribuer les richesses pour réduire les inégalités sociales. Il s’agit également de réguler l’économie, de soutenir le développement et de promouvoir le bien-être général de la population. Il devrait de ce fait être acquitté sans aucune difficulté par les citoyens, afin qu’il puisse assurer cet objectif qui est intimement lié à l’existence même de l’État. L’administration fiscale, le fiscaliste, les conseillers fiscaux, les contribuables doivent par conséquent contribuer pleinement à la réalisation de ce rôle dévolu à l’impôt !
Mais, il est facile de constater depuis quelques décennies une »scientifisation de la fiscalité’‘, détournant de façon subtile les acteurs de l’objectif premier de l’impôt.
Remarquons :
- La complexité croissante de l’impôt : l’impôt devient de plus en plus complexe, devenant l’apanage d’une poignée de spécialistes. Ce qui nous éloigne du caractère d’accessibilité à tous dont l’impôt se prévaut ! La complexité excessive des règles fiscales rend leur compréhension difficile pour le citoyen moyen, ce qui peut entraîner une méfiance accrue et une moindre adhésion au système fiscal.
- Les moyens colossaux déployés par l’État : l’État déploie de plus en plus de moyens, avouons-le colossaux, pour amener le citoyen à participer en tout honneur à la création du cadre de vie auquel il aspire ! Cependant, ces ressources pourraient être mieux utilisées pour simplifier le système fiscal et améliorer les services publics.
- L’éloignement des experts fiscaux de l’objectif premier de l’impôt : les experts de la fiscalité ne parviennent pas à améliorer le civisme fiscal mais s’engouffrent dans des théories de plus en plus complexes qui les détournent subtilement de l’objectif premier de l’impôt ! Au lieu de se concentrer sur l’optimisation du recouvrement de l’impôt et la promotion de l’équité fiscale, les spécialistes sont souvent absorbés par des débats théoriques et techniques.
- La transparence reléguée en arrière-plan : la transparence dans l’utilisation de l’impôt, qui est pourtant le facteur essentiel de mobilisation de l’impôt, est reléguée en arrière-plan ! Sans une transparence claire sur la manière dont les fonds publics sont utilisés, la confiance des contribuables dans le système fiscal diminue, ce qui peut entraîner une évasion fiscale accrue.
- Les critères de performance des administrations fiscales : le contrôle fiscal, le recouvrement forcé, le contentieux, etc., deviennent à tort et sans efficience avérée, les critères de performance des administrations fiscales ! Ces approches coercitives peuvent nuire à la relation entre les contribuables et l’État, en instaurant un climat de méfiance et de confrontation plutôt que de coopération.
- L’érosion de la confiance entre les contribuables et l’État : la confiance naturelle qui devrait régner entre les contribuables et l’Etat s’est effritée au grand péril de la qualité des services publics ! Une confiance érodée signifie une moindre volonté des citoyens de payer leurs impôts et de soutenir les initiatives publiques.
- L’évasion fiscale comme acte d’ingéniosité : se soustraire du paiement de l’impôt, justement grâce à cette scientifisation, est devenu un acte d’ingéniosité, toléré, sous le regard impuissant des autorités garantes de l’épanouissement social ! La complexité du système fiscal permet aux individus et aux entreprises de trouver des moyens légaux pour éviter l’impôt, ce qui réduit les recettes publiques et augmente les inégalités.
- La performance des experts mesurée par la maîtrise des règles complexes : connaître au bout des doigts des règles fiscales complexes, impactant au vu et au su de tous, la performance de l’impôt devient malheureusement le critère d’attribution du titre d’expert ! Cette expertise technique, bien que nécessaire, ne devrait pas être l’unique critère de compétence. La capacité à simplifier et à humaniser le système fiscal devrait également être valorisée.
Tout peut être soumis à une haute scientificité, sauf la fiscalité. Plus les règles sont complexes, moins l’État parvient à collecter efficacement l’impôt et moins les services publics de qualité auxquels nous prétendons deviennent utopiques. L’impôt est le seul instrument qui met en relation tous les citoyens, à chaque instant et sur l’ensemble du territoire, du fait de son caractère redistributif !
Vers une fiscalité plus humaine et accessible
La fiscalité doit être repensée afin de restaurer son image, qui se ternit malheureusement au fil du temps et au péril de la souveraineté des États. Il est crucial de revenir à des principes plus simples et plus transparents, qui renforcent la confiance des citoyens dans le système fiscal et favorisent une réelle équité.
- Simplification des règles fiscales : réduire la complexité du système fiscal pour le rendre compréhensible et accessible à tous les citoyens. Cela pourrait inclure la suppression des niches fiscales et des déductions complexes qui profitent principalement aux contribuables les plus aisés.
- Transparence et redevabilité : assurer une transparence totale sur l’utilisation des fonds publics et la manière dont les impôts sont dépensés. Des rapports réguliers et accessibles au public sur les dépenses publiques et leur impact pourraient améliorer la confiance des citoyens.
- Éducation fiscale : intégrer l’éducation fiscale dans les programmes scolaires et les campagnes publiques pour sensibiliser les citoyens à l’importance de l’impôt et à son rôle dans la société. Une meilleure compréhension des mécanismes fiscaux pourrait améliorer le civisme fiscal.
- Réforme des administrations fiscales : adopter des critères de performance qui mettent l’accent sur la qualité du service et la satisfaction des contribuables plutôt que sur le recouvrement coercitif. Encourager une culture de service au sein des administrations fiscales pour renforcer la confiance des citoyens.
En conclusion, la scientifisation à outrance de la fiscalité nous éloigne effectivement du principal objectif de l’impôt. Pour restaurer la confiance et l’efficacité du système fiscal, il est essentiel de simplifier les règles, d’améliorer la transparence, d’éduquer les citoyens et de réformer les administrations fiscales pour qu’elles se concentrent sur le service aux contribuables. La fiscalité doit être repensée pour qu’elle redevienne un outil de justice sociale et de cohésion nationale.
MOHAMED GUEYE
Inspecteur des impôts